Il était une fois, une Petite Fille qui se prénommait Rose, et qui avait la curieuse particularité d’être née avec une barbe.
Elle avait bien essayé de s’en débarrasser, en la coupant, l’arrachant et même en la brûlant. Mais rien ni faisait, celle-ci repoussait irrémédiablement.
Pendant toute son enfance Rose fut montrée du doigt et ridiculisée. Tous les enfants l’appelaient Barbichette et les plus méchants lui tiraient la barbe chaque fois qu’ils la croisaient.
En classe, personne ne s’asseyait à coté d’elle. À la cantine, elle mangeait toujours seule. Et lors de la récréation, elle n’avait aucun ami avec qui jouer.
***
Un jour, alors qu’elle était assise seule sur un banc dans la cour de l’école, un Petit Garçon vint s’asseoir à coté d’elle. Il était frêle et grand et portait de grosses lunettes. C’était le nouveau de l’école, il s’appelait Harry, mais tous les élèves le surnommaient déjà Haricot.
Harry demanda à Rose :
– Comme tu es toute seule, et que je suis tout seul, est-ce que je peux m’asseoir à coté de toi pour qu’on soit plus tout seul ?
Elle n’en crut pas ses oreilles et accepta avec joie.
Ils se racontèrent des histoires, rigolèrent, jouèrent ensemble et devinrent inséparables.
Les autres élèves continuèrent de s’en prendre à eux, mais cela n’avait plus d’importance, car à présent ils étaient deux.
***
Le temps passa et Rose devint une véritable Jeune Fille. Elle entra au collège et perdit de vue Harry.
C’est alors qu’une chose tout à fait surprenante se produisit : les poils de sa barbe commencèrent à tomber… un à un et sans repousser. En quelques jours, la barbe de Rose disparut.
Elle regarda alors sa nouvelle tête dans un miroir… et se trouva hideuse.
Rose se rendit à l’école à reculons, en dissimulant son visage sous sa capuche et derrière une grosse écharpe.
Mais affublée ainsi, elle passa encore moins inaperçue.
À peine fut elle entrée dans l’école, qu’une Grande Fille Brune lui barra son chemin et lui dit :
– Barbichette, Barbichette, pourquoi donc caches-tu ta tête ?
En prononçant ces mots, la Grande Fille Brune souleva la capuche de Rose et une autre fille lui arracha son écharpe.
Le résultat ne fut pas celui que la Grande Fille Brune espérait. Au lieu de rires moqueurs, se furent des murmures d’admiration qui parcoururent l’école.
Les élèves étaient tous sidérés devant la beauté de Rose.
Les filles en furent immédiatement jalouses, et les garçons en tombèrent sous le charme.
Dans la minute qui suivit, le Groupe des Jolies Filles du collège alpagua Rose pour qu’elle rejoigne leur bande. Rose accepta, surprise et touchée d’avoir enfin un peu d’attention.
Le Groupe des Jolies Filles se fit une joie de s’occuper d’elle.
Elles l’habillèrent, la maquillèrent, et la coiffèrent comme si c’était une véritable starlette.
Puis se pavanèrent avec elle en proclamant qu’elle était à présent leur nouvelle meilleure amie.
Tous les garçons avaient les yeux rivés sur le Groupe des Jolies Filles, et échangeaient avec elles des regards complices à chaque fois qu’ils les croisaient.
Quand elles n’étaient pas en train de se maquiller ou de faire du charme aux garçons, le Groupe des Jolies Filles occupait son temps en se moquant et en humiliant les élèves les moins populaires.
D’abord un peu gênée, Rose oublia bien vite son passé, et assista à ces mesquineries, sans rien oser dire.
Un jour, la Chef du Groupe des Jolies Filles, dit à Rose :
– Si tu veux rester dans notre groupe, tu dois prouver que tu es comme nous. Va casser les lunettes du binoclard assis seul sur le banc.
Rose reconnut immédiatement Harry, qu’elle avait complètement oublié.
N’osant pas dire non à la Chef et sentant la pression du groupe, elle consentit.
Lorsqu’Harry vit Rose s’avancer vers lui, ses yeux brillèrent de joie sous ses lunettes trop grandes. Elle lui sourit et lui demanda de lui prêter ses lunettes quelques instants, ce qu’il fit avec empressement.
Elle les prit, les fit tomber par terre et marcha dessus.
Harry regarda ses lunettes brisées, incrédule. Puis, il entendit au loin les rires du Groupe des Jolies Filles, et les vit pouffer de rire en le pointant du doigt.
Il dévisagea Rose et lui dit dans un souffle :
– Tu étais bien plus belle avec une barbe.
Puis il s’en alla.
À cet instant le cœur de Rose se brisa en mille morceaux.
Comme dans un rêve embrumé, elle entendit au loin le Groupe des Jolies Filles la féliciter, et sentit leurs bras l’enserrer et l’étouffer. Rose réussit à s’en dégager et s’enfuit de l’école.
Elle ne put rien avaler de la soirée et ne ferma pas l’œil de la nuit.
***
Le lendemain, lorsque Rose retourna à l’école, tous les élèves la dévisagèrent et se retournèrent sur son passage.
Elle les ignora et alla s’asseoir sur le banc, à coté d’Harry. Il avait recollé ses lunettes avec du ruban adhésif et était plongé dans un livre.
Rose lui demanda :
– Comme tu es tout seul, et que je suis toute seule… Est-ce que je peux m’asseoir à coté de toi pour qu’on soit plus tout seul ?
Il releva la tête, et vit qu’elle portait une fausse barbe :
– Ça dépend… tu comptes garder cette barbe combien de temps ?
Rose répondit :
– Je ne m’en séparerai plus jamais.
Il lui sourit.
Elle lui sourit.
Et ils ne se perdirent plus jamais de vue.
Fin