Il était une fois, un couple de musiciens qui vivait dans une charmante petite maison entourée de pins. Ils étaient heureux et attendaient un bel événement, l’arrivée d’un petit bébé.
Seulement, le jour de la naissance de l’enfant, la musicienne mourut.
Son mari, pris de désespoir, arrêta de jouer de la musique et se remaria quelque temps plus tard pour essayer d’oublier son chagrin.
Seulement, celle qu’il choisit pour épouse était l’opposé de sa défunte femme. Elle était méchante, ne souriait jamais et avait le nez crochu.
***
Les saisons puis les années passèrent, l’ancien musicien et sa nouvelle femme commencèrent à vieillir. Se sentant fatigués et de plus en plus rouillés, ils décidèrent d’engager un domestique pour s’occuper de leur maison.
Lorsque la vieille dame rencontra le jeune domestique pour la première fois, elle dit à son mari :
– Il a l’air bien sot, c’est bien, il ne nous apportera pas d’ennui.
Et il fut engagé sur-le-champ. La vieille dame lui fit faire le tour de la maison en lui expliquant les taches qu’il aurait à accomplir.
Quand ils arrivèrent en bas des escaliers menant au grenier, elle s’arrêta et le regarda avec ses yeux noirs :
– Tu peux aller partout dans la maison, mais n’entre jamais dans le grenier, jamais.
Le jeune domestique hocha la tête puis suivit la vieille dame qui s’éloignait déjà.
***
Il passa sa première nuit dans la maison entourée de pins, et dormait paisiblement quand soudain, une discrète et étrange mélodie le tira de son sommeil. Il se redressa et tendit l’oreille. La mélodie était très faible mais toujours là. Il se leva, se laissa guider par les notes et se retrouva en bas de l’escalier menant au grenier.
Sur la pointe des pieds, il monta les marches une à une, et arriva devant la porte. Il eut à peine touché la poignée, que la douce mélodie s’arrêta.
La porte était fermée à clef, alors il demanda doucement :
– Est-ce qu’il y a quelqu’un ?
Aucune réponse.
Le jeune domestique était tellement intrigué par cette mélodie qu’il en oublia les recommandations de la vieille dame. Il sortit une tige en fer de sa poche, crocheta la serrure et pénétra dans le grenier.
La pièce était tellement sombre et poussiéreuse qu’il ne vit d’abord rien, puis ses yeux s’habituèrent peu à peu à l’obscurité. Il distingua alors des tas de vieux meubles et affaires entassés et éparpillés partout.
Soudain, quelque chose bougea derrière un des vieux fauteuils.
Le jeune domestique s’approcha du fauteuil et regarda derrière. Ce qu’il vit le laissa sans voix. Une jeune fille terrifiée et recroquevillée sur elle-même se tenait devant lui.
À ce moment précis, la porte du grenier claqua et fut verrouillée à double tour.
Le jeune domestique se précipita vers la porte pour essayer de l’ouvrir et cria :
– Pourquoi faites-vous ça ?! Ouvrez-nous ! S’il-vous-plait !
La vieille femme répondit :
– Tu as voulu voir ce Monstre malgré mes interdictions alors tu resteras enfermé avec elle le reste de ta vie !
Sur ces mots, le jeune domestique se retourna vers la jeune fille. Elle s’était redressée et il la distingua mieux. Ses longs cheveux noirs descendaient en dessous de ses épaules, son teint était aussi pâle que du coton et ses yeux étaient d’un bleu plus profond que celui des océans.
Tout à coup, la lumière de la lune vint éclairer son corps. Le cœur du jeune domestique faillit s’arrêter en le découvrant. Car à la place du ventre de la jeune fille, il y avait un accordéon. Le boîtier avec les touches de piano cachait sa poitrine tel un joli bustier, et le boîtier avec les petites touches rondes lui faisait comme une petite jupe. Le tout était relié par un soufflet qui ondulait doucement au rythme de sa respiration.
Le jeune domestique s’approcha d’elle et lui demanda :
– Comment t’appelles-tu ?
La jeune fille, pour toute réponse, abaissa son buste pour compresser le soufflet de son accordéon et émettre un son. Voyant le visage stupéfait du domestique, elle eut honte d’elle-même et alla se cacher derrière le fauteuil.
Le jeune domestique se ressaisit et lui dit :
– Tu as le plus beau nom que j’ai jamais entendu, comme tu as joué un Do, je t’appellerai ainsi.
La jeune fille le regarda, troublée, puis lui sourit.
***
Au fil des jours, ils inventèrent un langage à partir des notes que Do pouvait jouer et ils finirent par se comprendre totalement.
Do se confia alors au jeune domestique :
– Je suis née ainsi, et j’ai grandi dans ce grenier. Je n’ai jamais vu quiconque, et la seule voix que j’ai jamais entendue est celle de cette horrible femme qui me traite sans cesse de Monstre ou de Chose.
Le jeune domestique, horrifié, la rassura :
– Mais vous êtes bien loin d’être un monstre ! Vous êtes même très joli…
Deux petites taches roses apparurent sur les joues pâles de la jeune fille. Elle détourna les yeux et se cacha le visage comme elle put avec ses longs cheveux noirs.
Le jeune domestique tout aussi gêné, changea vite de sujet :
– Vous ne pouvez pas rester enfermée ici, il faut absolument que vous découvriez le monde. Il est si beau et il y a tant de choses à voir !
La jeune fille tourna le regard vers le jeune homme :
– J’aimerais tant… mais malheureusement nous sommes enfermés ici pour toujours.
– Je vais chercher une solution pour nous sortir d’ici, affirma le jeune domestique.
***
Chaque matin, l’horrible marâtre leur donnait à manger à travers une petite trappe située en bas de la porte. Seulement, elle leur donnait la même quantité de nourriture que lorsque Do était seule. Ils devaient donc se partager un verre d’eau et un bout de pain par jour. Leurs ventres n’arrêtaient pas de gargouiller et ils étaient de plus en plus faibles.
Dès qu’elle s’éloignait du grenier, le jeune domestique cherchait dans tous les recoins une ouverture pour sortir ou un objet qui pourrait les aider.
Il tourna son attention vers la seule petite fenêtre du grenier. Mais celle-ci était fermée par un gros cadenas. Heureusement, le jeune domestique avait toujours sa tige en fer dans sa poche. Il la prit, l’inséra dans la serrure et réussit à la déverrouiller. Il ouvrit la fenêtre et passa sa tête à l’extérieur. Il respira avec bonheur l’air frais des pins, mais en ouvrant les yeux il fut pris de vertige en voyant la hauteur à laquelle ils étaient. Il referma aussitôt la fenêtre.
Do s’avança vers le domestique :
– Pourquoi refermez-vous cette fenêtre ? Ne pourrions-nous pas sortir par là ?
Le jeune domestique lui répondit :
– J’aurais tellement aimé ! Seulement, nous sommes bien trop haut… si nous sautons nous mourrons sur-le-champ.
Do réfléchit et dit au jeune domestique :
– Il y a une solution. Je peux déplier mon soufflet jusqu’en bas de la maison et tu n’auras qu’à glisser le long de mon corps pour atteindre le sol.
– Mais cela va te faire mal, dit le jeune domestique. Et comment descendras-tu, toi ?
Do mentit :
– Non, je n’aurai pas mal. Et il me suffira de me replier sur moi-même pour descendre à mon tour.
Comme il n’avait pas de meilleure solution, le jeune domestique bien qu’inquiet, accepta.
Ils sortirent par la fenêtre et montèrent sur le toit. Do s’agrippa au rebord de la fenêtre et déplia son soufflet autant qu’elle le pu pour atteindre le sol. Elle avait à présent la tête et les bras sur le toit et les jambes et les pieds sur l’herbe.
Le jeune domestique monta sur l’accordéon et commença à descendre le long du soufflet. Il était plutôt lourd et bien que cela fit mal à Do, celle-ci ne dit rien.
Il était presque arrivé en bas du soufflet quand soudain celui-ci craqua et se déchira. Le jeune domestique tomba sur le sol, indemne. Mais Do lâcha prise et dégringola du haut de la maison.
Do gisait sur le sol, inerte, le corps déchiré en deux.
Le jeune domestique la prit dans ses bras et lui dit en larmes :
– Je te réparerai Do, je te le promets.
***
Le jeune domestique fit le tour de la maison avec Do dans les bras et pénétra dans l’atelier situé derrière. Il y trouva le vieux père de Do en train de bricoler.
– Monsieur, il faut que vous m’aidiez ! implora le jeune domestique.
– Que fais-tu là petit mécréant ! hurla le vieil homme. Tu n’as pas honte de revenir ici après m’avoir volé, ma femme m’a tout raconté !
– Mais Monsieur, elle vous a menti, je ne vous ai jamais volé, dit le jeune domestique. Votre femme me détenait enfermé depuis des semaines dans votre grenier avec votre fille. Nous serions morts là-haut si nous n’avions pas réussi à nous échapper. Seulement en passant par la fenêtre, votre fille s’est cassée, c’est pourquoi je suis venu ici vous demander de l’aide.
Le jeune domestique dévoila au Père le corps cassé de Do.
Le vieil homme se précipita vers sa fille et la prit tendrement dans ses bras :
– Ma pauvre enfant… je suis désolée… quel père je suis pour t’avoir rejeté ainsi…
Il releva les yeux vers le jeune domestique :
– Je vais vous aider.
D’une main fébrile, le vieil homme ouvrit un placard dans un recoin de son atelier. À l’intérieur, se trouvaient deux magnifiques accordéons. Un rouge rubis et un bleu saphir.
– C’étaient nos accordéons, à sa mère et moi, murmura le vieil homme.
Il prit l’accordéon bleu de sa femme avec délicatesse et en détacha le soufflet. Il ôta ensuite celui de Do et passa plusieurs heures à lui installer celui de sa mère.
Une fois qu’il eut terminé, le vieil homme et le jeune domestique regardèrent Do en retenant leur souffle.
Do ouvrit les yeux et réussit à jouer quelques notes.
Elle était réparée.
***
Le vieil homme retrouva sa joie perdue et bannit son horrible femme de la maison. Il offrit au jeune domestique son propre accordéon et lui apprit à en jouer.
Do et le jeune domestique purent alors jouer ensemble dans les plus grands orchestres du monde et ils eurent de nombreux enfants accordéons.
Fin